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Causerie

Le terrible accident dont la dompteuse Gandolfo vient d'être victime peu de jours après le dompteur Seeth, dont le Progrès illustré a représenté la dramatique mésaventure, montre que tous les fauves plus ou moins domptés ne sont pas en caoutchouc.

Il y a, dans le public une tendance à ne pas trop prendre au sérieux les dangers que courent les belluaires de cirques et de ménageries. J'ai même entendu des gens qui se prétendaient bien renseignés, faire à ce sujet des théories péremptoires. Les tigres et les lions forains seraient, d'après eux, aussi inoffensifs que des caniches, la captivité les ayant absolument ramenés aux conditions des animaux domestiques. Il y a là du faux et du vrai. Certains lions débonnaires, quelques tigres émasculés ne sont, il est vrai, pas plus féroces que de simples descentes de lit en fourrures.

Les Lyonnais se rappellent qu'il y a cinq ou six ans le poète Sarrazin entra dans la cage des lions de la ménagerie Pezon, et que, nouvel Orphée, il y récita des vers de sa composition, au milieu des fauves épatés. Cet événement poético-zoologique a été perpétué par une photographie dans laquelle on voit M. Sarrasin, assis sur une chaise, son placide visage encadré de favoris poivre et sel, la main droite levée en pigeon-vole. Dans cette attitude il déclame avec sérénité au milieu d'un auditoire de lions ! Les mauvaises langues assuraient qu'on avait stupéfié les fauves au moyen du chloroforme et que les vers du poète suffisaient à les empêcher de sortir de leur sommeil ; mais en réalité, il ne faut pas se fier aux bêtes féroces. La plupart des dompteurs ont été plus ou moins déchirés par leurs élèves. Van Arnbarg, Lucas, Batty, Bidel et bien d'autres ont été victimes de la colère de lions et de tigres avant Seeth et Mlle Gandolfo.

Il y a cependant certains faits qui justifient les doutes des sceptiques en pareille matière. A l'époque où le dompteur Charles Bilim parcourait la province avec la ménagerie. Huguet qui se faisait appeler: Huguet de Massilia (c'est-à-dire de Marseille), un superbe lion de l'Atlas tomba gravement malade. Charles aimait beaucoup ce lion. Après une consultation, il fut établi que pour sauver le malade, il fallait absolument lui administrer un lavement !

Ce personnage de comédie qui, devant une tâche redoutable, disait qu'il aimerait mieux :

Peigner un ours du pôle ou traire une panthère, Ou du Vésuve en l'eu ramoner le cratère,

aurait pu ajouter :

Au lion de l'Atlas introduire un clystère !

Bref, sans entrer dans plus de détails sur la maladie dont souffrait le lion, je me bornerai à dire que le lavement était devenu la condition essentielle de son salut. N'écoutant que la voix de son coeur, Charles, armé d'une énorme seringue, telle que Molière lui-même n'avait pu en rêver une pareille pour M. de Pourceaugnac, entre dans la cage du lion. Celui-ci regarde avec inquiétude l'arme dont il est armé, et tout d'abord il se dérobe... Mais Charles lui dit doucement :

Mon ami, c'est pour ton bien !

Et le lion se laisse faire. On assure même qu'il guérit et que, semblable au lion d'Androclès, il garda une profonde reconnaissance à l'homme qui avait fait mieux que de lui tirer une épine du pied.

Nous approchons du recensement. Sait-on que dans la Bible il est déjà question d'une opération de ce genre ?

David dit à Joab, général de son armée : Allez dans toutes les tribus d'Israël et faites le dénombrement du peuple afin que j e sache combien il y a d'hommes. Et le dénombrement dura neuf mois et vingt jours . Seulement, ce qui ne s'explique pas facilement, c'est que quand le Seigneur connut le résultat de ce recensement dont il ressortait que huit cent mille hommes étaient en état de porter les armes, sa colère s'alluma contre Israël : Il envoya le prophète Gad et il lui dit : Allez dire à David : Voici ce que dit le Seigneur : Je vous donne le choix de trois fléaux, la famine, la guerre et la peste, choisissez celui que vous voudrez que je vous envoie. David répondit à Gad qu'il était très embarrassé : on le serait à moins. Cependant, il choisit la peste, que le Seigneur s'empressa d'envoyer, et il mourut en trois jours soixante-dix mille personnes. On n'a jamais su et on ne saura jamais pourquoi ce dénombrement avait mis le Seigneur si fort en colère. Il avait vraiment la tête trop près du bonnet. On se demande aussi pourquoi David crut devoir choisir la peste. Il aurait mieux fait de répondre au Seigneur :

Vous êtes bien bon de m'offrir trois plats au choix, mais si vous le voulez bien, je ne prendrai rien ; ce sera pour une autre fois !

Le Congrès de chirurgie qui vient de terminer ses travaux, avait rassemblé à Paris un grand nombre de sommités de l'art ... d'amputer. Il y avait, notamment, l'excellent docteur Z..., qui joint à une haute science une profonde distraction. C'est lui qui ayant coupé les deux jambes à un client victime d'un accident de voiture, lui donnait avec bienveillance des encouragements.

Allons, monsieur, de l'énergie ! disait-il au malheureux cul-de-jatte, qui geignait non sans cause; si vous êtes calme, et si vous suivez bien toutes mes recommandations, avant six semaines vous serez sur pieds!

On prétend que la bonne éducation des jeunes filles a reçu de graves atteintes et que l'américanisme s'y fait sentir. Voici un trait qui est de nature à nous rassurer sur ce point. Dans une des petites sauteries bourgeoises qui se multiplient abondamment depuis Pâques, un jeune homme esquisse une déclaration timide :

Ah! Mademoiselle, que de fois je vous ai vue ! Où cela, monsieur? Dans mes rêves…

Et la jeune personne, en baissant les yeux:

Alors, Monsieur, vous avez dû y voir aussi maman, ou ma tante Ernestine, car je ne vais nulle part sans être accompagnée par l'une d'elles.

Osez dire, à présent, qu'il n'y a plus de jeunes filles bien élevées !

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